vendredi 23 novembre 2007

le clochard

Le clochard garde près de lui sa bouteille de vin. Il a un rire rauque, gras. Son visage est défoncé par l’alcool. Ses yeux surfent dans le vide. Il tend sa colère et son désespoir dans un doigt magistral.
L’aumône tombe, sonnante. Il se penche sur l’écuelle – hébété il s’en fout, et attrape un poux dans son cou.

Sur son unique jambe, le clochard boîte autour d’une plaque d’égout. Il a le dos voûté, les épaules décalées, les pieds nus, cornés, à vif.
Ivre il tourne autour – besoin d’ouvrir, de vomir sans tâcher le beau bitume. La plaque de fonte pèse sur son ventre. Ses boyaux se tordent, se nouent et ferment la plaque.
Dégoût.
Seule une légère fumée s’échappe – brouillard de carnaval dans la lumière du réverbère, volute passe-partout, gaz inerte – et ce sont quelques mots arrachés, quelques larmes évaporées, contenues. Un soupir brûlant de cocotte-minute ; celui du clochard à la gueule défoncée.

Le clochard crache le feu, titube et tombe à plat ventre : il vient de perdre sa seconde jambe. Pantin désarticulé, tordue tortue rampante, sorbet dans le bitume brûlant, il fond en hurlant. Les mains agrippent les murs. Les ongles crissent et crient. La viande amère coule sur son visage bousillé, de noir tacheté.
Il fume de partout et se débat mollement dans le bitume ; ivres de douleur, ses yeux s’embrument, s’évaporent en faisant ploc ! ploc !

Avalé, digéré par l’asphalte brillant. Seules deux dents – ridicules osselets – bringuebalent. Un coup de vent. Fini.

Il y avait un clochard ici, et je me suis toujours demandé ce qu’il était devenu.


pierre desvigne

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